20 juin 2025
Les banques centrales, dans le brouillard, prennent des chemins différents
Alors que les incertitudes et tensions internationales perdurent, voire s’accentuent, les banques centrales naviguent toujours à vue et s’adaptent chacune aux contraintes et besoins de leurs zones d’influence respectives. Et si, à certaines périodes de l’histoire récente, ces besoins et contraintes étaient relativement proches – comme la lutte contre la crise économique potentielle liée au Covid ou à la lutte contre l’inflation ensuite -, ils semblent clairement diverger depuis quelques mois, tant les banques centrales diverses agissent différemment. Ainsi, ces dernières semaines a-t-on pu voir la BCE baisser ses taux à 2%, la Banque du Japon le faire grimper à 0.5%, Banque d’Angleterre et la FED le maintenir sur un niveau relativement élevé de 4.25%, la Banque de Norvège le baisser de 0.25% pour atteindre le même niveau, tandis que la Banque Nationale Suisse les baissait pour revenir au fameux taux zéro de la décennie 2010… soit un différentiel de taux de plus de 4% entre les principales économies mondiales et une diversité de taux d’intérêts et d’actions à peu près jamais vue depuis les suites de la crise de 2008.
Sources : Amplegest, Bloomberg
Cette dichotomie peut bien sûr s’expliquer par les situations spécifiques de chaque zone (cf. tableau ci-dessus) mais elle rend le travail d’un investisseur beaucoup plus difficile que par le passé car les chemins des grands argentiers mondiaux ne tracent pas le même sillon et semblent chacun totalement embrumés ; d’autant plus difficile s’il souhaite se diversifier géographiquement, du fait de mouvements de devises très fort, ou s’il souhaite se positionner sur des actifs long terme dont la duration rend la volatilité extrêmement forte. C’est sans doute pour cette raison que le marché obligataire et plus particulièrement le marché corporate de notation intermédiaire (BBB/BB/B), parce qu’il
- est moins risqué que les marchés actions,
- offre une visibilité de remboursement à quelques années, généralement entre 3 et 5 ans,
- est le pan obligataire offrant le plus fort taux de rendement en absolu
- permet à un investisseur d’éviter tant que possible les incertitudes macro au profit d’une histoire d’entreprise
capte autant de flux actuellement et parvient à maintenir des marges de crédit serrées malgré des records d’émissions, comme en témoigne cet article de l’Agefi sur le marché primaire high yield.
De notre point de vue, ces flux ne sont donc pas liés à une opportunité particulière sur le marché du high yield, comme ce pouvait être le cas entre 2020 et 2023-24 mais à un manque d’opportunités sur les autres actifs, c’est-à-dire précisément l’inverse de ce qu’on avait pu observer durant la décennie 2010, durant laquelle beaucoup d’investisseurs, qui auraient dû acquérir des obligations dans leur profil d’allocation type, s’en détournaient parce que leur rapport rendement/risque était beaucoup trop faible. Cette période pourrait encore durer plusieurs mois, tant la situation est incertaine et tant les marchés pourraient devenir volatiles au vu de l’accroissement des tensions sur à peu près tous les plans.
Rien ne change donc dans le positionnement des fonds Octo car le brouillard ne s’est pas levé, bien au contraire, et aucune opportunité nouvelle n’a émergé depuis quelques mois tandis que les rendements sont restés, bon an mal an, comparables à ceux qu’ils étaient en début d’année. C’est donc le portage assorti d’une très faible volatilité qui fait la performance des fonds, ce qui, finalement, est ce qu’on attend du marché obligataire…
Pour terminer enfin, nous signalerons une nouvelle alerte sur Worldline (cf. hebdo du 6 juin 2025) qui annonçait cette semaine des difficultés à maintenir les marges et semblait préparer des annonces du nouveau management dans les semaines à venir au sujet d’une réévaluation et une mise à jour des perspectives ainsi qu’un énième nouveau plan stratégique pour augmenter la rentabilité … Travail à peu près inutile puisque, depuis plusieurs années, Worldline n’a fait que réajuster les perspectives pour qu’elles collent à une réalité qui déçoit systématiquement… Comme son ex-maison mère Atos en quelque sorte… Cette révision devra alerter les créanciers sur une possible réévaluation à la baisse du goodwill (car si la rentabilité est plus faible alors les actifs qui la produisent ont une moindre valeur, renforcé par l’effet multiplicateur de l’actualisation) et donc une dégradation d’autant de la qualité de crédit. Rappelons à ce sujet que le goodwill est le principal actif long terme de l’entreprise et que si cette dernière continue à décevoir, cet actif, par définition, n’est pas aussi « good » que son affichage au bilan et ne doit pas être pris par les créanciers pour argent comptant… En cas de stress voire de restructuration de dette, le goodwill vaut à peu près zéro et refaire les calculs de ratios de crédit de Worldline avec un goodwill proche de zéro et une légère décote sur les actifs incorporels, eux aussi liés à une évaluation subjective très mouvante en cas de stress, effraiera les plus optimistes… Pour un taux en deçà de 6%, nous lui préférerons bon nombre d’autres entreprises, si tant est qu’on n’ait pas besoin de la caution de la notation d’agence « investment grade » car, parce qu’elles ne prennent en compte quasiment que des critères quantitatifs et ont souvent quelques mois de retard, certaines agences de notation offrent encore le répit d’une notation BBB- à Worldline… Ceci ne devrait pas durer…
Matthieu BAILLY