03 octobre 2025
Une euphorie de fin de trimestre qui ne cille pas
Parce qu’il ne se passe pas grand-chose sur les marchés depuis plusieurs semaines, cet hebdo sera plus un édito de tendance qu’une revue des évènements de la semaine.
Sur le front micro, rien de particulier, les émetteurs publient des résultats plus ou moins en ligne du point de vue crédit, ne parviennent plus à se désendetter mais n’osent pas non plus proposer une politique financière plus agressive à leurs actionnaires tant l’environnement est incertain et le coût de la dette, bien que modéré, potentiellement plus haut que la rentabilité attendue des projets de développement. Alors si on doit chercher quelques nouvelles croustillantes, on les trouvera plutôt du côté des restructurations avec trois dossiers qui ont tenté d’avancer cette semaine, et montrent à quel point le métier de gérant distressed est complexe et totalement différent du métier de gérant obligataire ou crédit.
Ainsi cette semaine : 1. Thames Water, opérateur d’eau anglais (nous avons aussi eu nos faillites françaises sur le sujet et certains gérants de dette privée se souviendront de la Saur) obtenait ainsi un sursis grâce à un tour de passe-passe financier : 7,5 milliards de dettes effacées, 3,15 milliards de nouveaux fonds propres injectés, et des créanciers qui se retrouvent soudain actionnaires malgré eux ; 2. La fameuse Altice qui a pu valider l’effacement de 8,6 milliards de dettes au prix d’une dilution massive et 3. First Brands qui, de son côté, se réfugie dans le Chapter 11, après avoir alimenté pendant des années l’appétit des fonds de dette privée avec des coupons à 19%, rendant la survie financière finale quasi impossible.
Le point commun de ces dossiers ? Les actionnaires actuels sont certes évincés ou dilués, mais les créanciers n’en sortent pas gagnants pour autant : ils récupèrent des bouts de capital illiquides ou patientent dans des procédures interminables. Quand les taux d’intérêt étaient proches de zéro, accepter de bloquer du capital en espérant un recouvrement hypothétique pouvait encore se défendre. Mais avec des rendements entre 3% et 5% sur des obligations classiques aujourd’hui, chaque mois passé à attendre un “haircut” et un paiement validé par la justice devient une perte sèche. Grâce à la complexification des prospectus, à la longue phase de quête du rendement de la décennie 2010 et de l’assouplissement passif des contraintes pour les émetteurs (qui aurait tendance à revenir aujourd’hui) les faillites modernes ne sont plus des purges rapides où le créancier obligataire peut retrouver une partie de son capital ; ce sont des longues agonies où les créanciers sont souvent aussi les dindons de la farce, parfois encore plus que les actionnaires.
Sur le front macro, l’actualité américaine a été dominée par le shutdown fédéral : une partie des administrations fermées, 750 000 fonctionnaires en congé forcé, et un coût estimé à 0,1 à 0,2 point de PIB par semaine. De quoi brouiller encore la lecture des investisseurs. En Europe, la situation est tout aussi inconfortable : l’inflation repart à 2,2% en zone euro, 1,2% en France. Mais cette inflation n’a rien d’un excès de demande : elle est importée, liée aux tensions commerciales et géopolitiques multilatérales, à la hausse des matières premières et à la montée en gamme des producteurs émergents qui facturent désormais plus cher. Autrement dit, un choc de coûts et un appauvrissement relatif de l’Eurozone contre lequel la BCE est impuissante. Qu’elle baisse ses taux ou non, cela n’aura aucun effet sur le prix des importations. Le problème structurel reste le même : l’Europe a perdu en pouvoir de négociation et en poids industriel, elle achète son inflation à l’étranger et se débat dans ses contradictions.
Pourtant, les marchés financiers terminent le trimestre dans un climat d’euphorie avec des actifs totalement contradictoires qui grimpent en même temps. L’actif de la sécurité et de la crainte, l’or atteint près de 3900 dollars l’once (+47% depuis janvier), le Nasdaq, l’indice du risque et de l’optimisme en hausse de 11% sur le trimestre, spreads de crédit au plancher : tout semble sourire aux investisseurs sur tous les fronts. De quoi inciter les émetteurs à se précipiter sur le marché primaire pour placer des tombereaux de dette tant que l’orchestre joue. Oracle a par exemple levé 18 milliards de dollars, avec un carnet d’ordres de 82 milliards. Septembre est ainsi devenu le plus gros mois d’émissions IG depuis novembre 2022, avec près de 200 milliards de dollars. Le high yield suit la même voie, 48 milliards émis en septembre, record historique. Même les émetteurs les plus risqués trouvent preneur, comme si les investisseurs craignaient plus de rater le train que de perdre leur argent. Cela rappelle les phases d’excès du passé, les années 2000, 2007, 2018 ou 2021, quand tout le monde voulait acheter de la tech ou du haut rendement juste avant la tempête.
Pour un investisseur obligataire, la conclusion est limpide : mieux vaut éviter de courir derrière les illusions ou les excès de fin de cycle, et rester discipliné sur le crédit, quitte à sembler trop prudent dans l’euphorie générale.
Matthieu BAILLY