19 septembre 2025
Entre indépendances contrariées et excès assumés
Jerome Powell a fini par céder : baisse d’un quart de point des Fed funds et promesse d’autres accommodements à venir. Après deux ans passés à jouer les faucons anti-inflation, la Fed se transforme en colombe soucieuse d’un marché de l’emploi déjà refroidi… Trump jubile – lui qui n’a jamais digéré que Powell lui tienne tête. Le problème ? À force de brandir l’indépendance de la Fed comme un étendard, Powell doit désormais expliquer pourquoi l’institution bouge pile au moment où la Maison-Blanche s’impatiente et pourrait avoir du mal à justifier cela par une coïncidence… Les marchés n’en demandent pas tant : des taux plus bas, peu importe si l’inflation fait encore de la résistance. Le message est clair : le risque n’est plus l’inflation, mais l’emploi. Nous remarquerons tout de même, outre l’aspect « négociation politique » que l’on puisse craindre entre la FED et le gouvernement américain ou l’aspect versatile d’une institution qui doit donner un cap long terme, que la FED, comme le gouvernement américain font preuve d’une capacité d’adaptation, d’une rapidité à réagir et d’une aisance à modifier leur trajectoire qui laisse encore une fois l’Eurozone loin derrière, empêtrée dans ses dissensions nationales, ses effets ciseaux entre inflation importée et faible croissance et ses lourdeurs réglementaires et institutionnelles…
Avec une certaine logique, plus la FED ouvre la porte des baisses de taux, plus le dollar s’écroule. Pas seulement à cause de Powell : l’administration Trump rêve d’une devise plus faible pour doper la compétitivité américaine. Résultat : l’indice DXY flirte avec ses plus bas en quatre ans et les investisseurs étrangers se couvrent massivement. Les flux sur les ETF couverts dépassent pour la première fois depuis dix ans les flux non couverts. Autrement dit : on aime toujours les actifs américains, mais pas au prix d’un dollar en perdition, d’où une couverture du change généralisée et massive, malgré un coût de 2% pour un Européen sur trois mois ; de quoi ruiner l’attrait des Treasuries si on considère que la qualité de crédit européenne est équivalente (ce qui peut être vrai pour les Eurobonds ou l’Allemagne mais sûrement pas pour l’Italie, la Grèce ou la France), mais ces 2% de couverture de change permettent surtout deux choses : conserver l’actif de référence « flight to quality » en cas de stress, le T-Bond, et conserver les actions des entreprises les plus valorisées mais aussi probablement les plus solides et prometteuses du monde...
Alors plus on se couvre, plus le billet vert tombe, et plus on se couvre…
De ce côté-ci de l’Atlantique, le crédit européen affiche une santé insolente. Spreads IG et HY au plancher, appétit insatiable des investisseurs, carnets d’ordres pléthoriques : tout va bien, merci. Nous noterons tout de même que le marché du High Yield revêt actuellement une caractéristique tout à fait différente de la période «pré-hausse de taux ». Lorsque les taux étaient bas, voire négatifs, beaucoup d’investisseurs étaient prêts à prêter à des investisseurs extrêmement risqués pour capter quelques points de base. Ce fut l’apogée de l’endettement d’entreprises comme Altice ou Rallye… La hausse des taux puis le maintien de taux plus élevés plus longtemps a eu trois effets délétères pour ce marché : une pénurie de demande dans un premier temps, une dégradation massive de la liquidité puis de la solvabilité et de la qualité de crédit, conduisant à quelques défauts et restructurations puis un amenuisement quasi-total de ce pan de marché qui est devenu pestiféré et offre désormais des rendements souvent gigantesques… Le rating fait encore souvent foi et nous voyons de nombreuses entreprises très cycliques et relativement risquées qui parviennent à placer leurs nouvelles obligations pour des montants records à des taux très modérés de 5% à 6% simplement parce qu’elles sont notées B ou BB tandis qu’un CCC ne pourrait quasiment pas émettre… Pourtant ne vaut-il pas mieux un risque avéré, géré par l’entreprise et extrêmement bien rémunéré plutôt qu’un risque latent - car il est probable que, dans la conjoncture actuelle de réduction de croissance forte en Europe- de nombreuses dégradations de ratings soient à venir – sur lequel tout le monde se rue ?
A propos de gestion par le rating, ou disons plutôt d’achat d’obligations par le rating -car la BCE ne gère pas un portefeuille au sens financier du terme mais elle achète simplement des obligations en fonction d’une grille de ratings pour faire correspondre son actif à ses injections de liquidités - nous avons noté cette semaine une petite actualité sur le dossier Worldline, que nous avons déjà largement couvert ces derniers mois (cf hebdo du 29/08/2025).
Le Financial Times révèle en effet que la BCE s’est délestée de ses obligations Worldline, désormais reléguées en High Yield. Rien ne l’y obligeait : elle avait gardé des titres Atos (ex-maison-mère de Worldline, faut-il le rappeler…) bien après leur dégradation, ou d’autres dossiers douteux comme Steinhoff. Mais cette fois, exit Worldline, sans explication, et sans communiquer sur les encours. Trois explications possibles à cette cession qui peuvent d’ailleurs se combiner : 1/ dans une phase de réduction de bilan, les occasions de vendre sont plus nombreuses qu’en 2016 ou 2021 et une entreprise de mauvaise qualité sera évidemment plus sur la sellette dans cette phase de réduction du portefeuille que lorsque les injections de liquidités étaient massives et quand la BCE peinait à trouver des obligations à acquérir, 2/ l’issue du dossier Atos était si longue, si lourde et si politique que la BCE a pu se dire que son ex-filiale risquait de suivre un sort comparable, 3/ un track record relativement mauvais de la BCE en termes de sélectivité a pu la pousser à céder ce nouveau rossignol avec, espérait-elle, toute la discrétion possible ; c’était sans compter l’acuité du Financial Times.
Quatre histoires, un fil rouge : celui d’institutions centrales ballotées entre indépendance revendiquée et pressions politiques ou de marché. La Fed s’inquiète de l’emploi mais donne l’impression d’obéir à Trump. Le dollar devient une variable d’ajustement volontaire, au risque de saper la confiance mondiale. Le crédit européen affiche une sélectivité de façade, mais succombe à ses excès habituels. Dans ce contexte, et parce que ni les rémunérations ni les hiérarchies n’évoluent vraiment, il ne nous semble pas utile de modifier les allocations d’un portefeuille obligataire et nous resterons avec un risque de crédit modéré (rappelons que la part de High Yield dans les fonds Octo est au plus bas depuis fin 2019) et une duration sensiblement plus courte que celle des indices, que nous augmentons au fil de la hausse des taux longs qui se poursuit malgré tout, tranquillement, en Europe…
Matthieu BAILLY