07 novembre 2025
La BCE calme le jeu et la prudence s’impose du côté des entreprises
Alors que, depuis début octobre, les marchés espéraient que la BCE contrerait la chute de la croissance et les errances politiques du second pilier de la Zone Euro par une politique accommodante en 2026, Christine Lagarde a tempéré les ardeurs et préparé à une stabilisation des taux directeurs, affirmant que l’inflation européenne se rapproche de l’objectif de 2 %. Mais soyons honnêtes : cette désinflation doit peu à la BCE elle-même. Comme l’inflation de 2021-2022, elle provient d’abord de facteurs exogènes : la détente des prix de l’énergie, la baisse des matières premières et la léthargie de l’économie.
Comme depuis quinze ans, la BCE se retrouve en fait à jongler entre une inflation plus forte là où la croissance repart, plutôt dans le Sud de l’Europe, et une stagnation au Nord et trouve une sorte de compromis. Résultat : elle prépare les marchés à un statu quo prolongé avec surtout la volonté de conserver quelques cartouches en cas de stress plus sévère. Il n’en fallait pas moins pour que les marchés corrigent leur optimisme de « trop de baisses de taux », pour la énième fois depuis 2022, et que les taux longs rebondissent depuis quelques jours, alimentant toujours la volatilité sur les portefeuilles obligataires longs et de bonne qualité, tandis que le crédit court montre lui toujours autant de stabilité, à la faveur d’un portage supérieur et d’une moindre sensibilité.
De l’autre côté de l’Atlantique, les États-Unis affichent encore une croissance solide malgré le chaos politique du moment : un shutdown record, un Congrès paralysé et des droits de douane massifs. Pour l’instant, ces tarifs ont plutôt dopé les recettes fiscales et entretenu la dynamique budgétaire ; mais ils pourraient bien, à moyen terme, miner la consommation et l’investissement, surtout si la durée du blocage administratif s’allonge. L’économie américaine reste robuste mais polarisée : les géants technologiques continuent d’investir massivement – Meta vient d’émettre 30 milliards de dollars de dette, on est bien loin, pour une seule entreprise, des petits plans « défense » ou de recherche IA de quelques pays européens qui peinent à réunir quelques milliards… voire quelques millions parfois et dont on se targue pourtant… – tandis que les ménages modestes commencent à fléchir. Le gaz naturel, lui, s’envole de 35 % en une semaine, rappelant à quel point les chocs énergétiques peuvent brutalement raviver l’inflation.
Sur le terrain microéconomique, nous noterons une certaine prudence des entreprises malgré une saison de résultats plutôt satisfaisante et nous retiendrons l’exemple de Bouygues qui, malgré l’atteinte de ses objectifs trimestriels et des marges solides, préfère revoir ses perspectives à la baisse et proposer une politique financière plus prudente en réduisant quelque peu son endettement. Dans le domaine, il est certain que les entreprises domiciliées en France sont les plus affectées et les plus prudentes sur leur avenir moyen terme, au vu de l’incertitude politique et fiscale qui y règne… Notons ici que, depuis 2024, quoique les marchés et les spreads de crédit en disent – car ils ne se sont pas trop écartés pour le moment - , nous continuons d’éviter la plupart des signatures françaises qui nous semblent exposées à un risque politique majeur et pourraient décrocher d’un coup, comme l’avaient fait bon nombre de signatures « périphériques » entre 2011 et 2012.
Et puis il y a les éternels « laggards » qui animent nos hebdos depuis plusieurs mois, voire plusieurs années. Casino d’abord, qui jurait avoir bouclé sa « restructuration définitive » en 2024, mais prépare déjà la suivante. Moins de deux ans après avoir réduit sa dette de 4,9 milliards, le distributeur relance les discussions pour « adapter sa structure financière ». Les covenants se resserrent, les frais financiers repartent à la hausse et les échéances 2027 approchent. Le plan « Renouveau 2030 » risque de buter sur les mêmes obstacles que le précédent – trop de dettes, trop peu de cash, et surtout trop d’optimisme du management et lors du bouclage du plan de sauvetage… Phénomène récurrent dans les marchés financiers et particulièrement dans les entreprises en difficulté : rappelons nous les x plans de Pages Jaunes, Chronopost, Atos…
En parlant d’Atos, venons en justement à Worldline qui, de son côté, confirme nos réserves de la semaine passée. Le groupe a annoncé une nouvelle augmentation de capital de 500 millions d’euros, à laquelle BNP Paribas, Crédit Agricole et Bpifrance participent courageusement, patriotiquement, politiquement ou simplement parce qu’ils sont déjà trop engagés ? L’opération permet de rassurer les marchés sur le court terme, mais elle valide surtout notre diagnostic des mois passés : le bilan reste fragile, le cashflow famélique et la rentabilité hypothétique. Nous écrivions notamment que « le free cash flow attendu entre 20 et 100 millions d’euros représente l’épaisseur du trait sur 4 milliards de chiffre d’affaires » : rien n’a changé. Le coût de la dette s’est envolé, le goodwill demeure bloqué à 9 milliards sur 12 d’actifs, et les multiples plans de transformation s’empilent sans produire de trésorerie.
Les banques françaises affichent leur soutien, mais il est difficile d’y voir autre chose qu’un acte de sauvegarde industrielle, plus qu’un pari sur la rentabilité.
Les obligations Worldline ont grimpé à la suite de ces annonces, en particulier sur les maturités courtes jusqu’à 2027. Plutôt qu’un gage de stabilité et de meilleure fortune pour Worldline, nous verrons ce rebond uniquement comme une porte de sortie à moindre coût pour les porteurs à qui nous proposerons de céder rapidement leurs obligations s’ils ne l’avaient pas déjà fait… Car l’histoire se répétera chez Worldline mais les actionnaires ne voudront pas remettre au pot indéfiniment.
Matthieu BAILLY