19 décembre 2025
Heureux qui comme moi a fait un long voyage obligataire...
Alors que la trêve hivernale est toute proche, cet hebdo crédit sera probablement le dernier de l’année, à moins que ne survienne un évènement particulier entre Noël et le jour de l’an, fait rare mais qui arriva néanmoins de temps à autre, notamment en fin de la décennie 2010 par un défaut retentissant mais la mémoire me fait, elle aussi, défaut... défaut… mot maudit pour un investisseur obligataire et c’est peut-être pour cela que nous avons oublié duquel il s’agissait et que même l’hebdo qui en parlait a lui aussi disparu, caché dans les limbes des obligations oubliées… Mais pourquoi tant d’emphase et tant de mélancolie dans un papier hebdomadaire sur les marchés de crédit vous demanderez vous ?
Parce que si cet Hebdo Crédit Octo sera donc vraisemblablement le dernier de cette année obligataire 2025 que l’on pourra résumer à un portage tranquille malgré une petite frayeur en avril – Sacré Monsieur Trump… –, il sera aussi le dernier que je rédigerai après plus de douze ans de fidélité à ce rendez-vous du vendredi matin et plus de 450 éditions…
Le 18 février 2013 paraissait le premier hebdo… La crise chypriote se profilait, aboutissant quelques mois plus tard à la confiscation des avoirs des déposants, Peugeot annonçait une perte de 5 milliards d’euros mais cela n’inquiétait personne car l’Etat garantissait tous les emprunts de sa filiale bancaire pour encore trois ans et la guerre des changes et le bluff des banques centrales pour savoir qui serait le plus réactif et le plus à-même d’emporter le cycle de croissance pour la décennie post-crise de 2008, commençait… On sait aujourd’hui que cette « bataille » fut très courte et qu’USA et Chine écrasèrent la Zone Euro… phénomène qui s’est amplifié au fil de l’accroissement de la dette souveraine européenne, des difficultés monétaires de la BCE préoccupée par la crise des périphériques puis emberlificotée avec sa vingtaine de membres ayant tous des équilibres et des contraintes différentes, et de l’instabilité politique et sociale croissante de la Zone… autant de sujets qui n’embarrassent clairement pas les USA et la Chine, que ce soit pour de bonnes ou de mauvaises raisons…
Alors que retiendrons-nous de nos douze ans d’hebdos ?
- Que bien qu’on dise que les marchés obligataires sont calmes, voire ennuyeux, on trouve toujours quelque chose à en dire et un enseignement à en tirer, tant ces marchés sont vastes et variés en termes d’émetteurs, de contrats, d’innovation, de situations d’entreprises, d’imbrications monétaires, politiques, macro et micro-économiques
- Que l’analyse crédit, contrairement à l’analyse action qui s’écrit souvent sur des perspectives, est souvent plus fiable lorsqu’elle tient plutôt compte du passé d’une entreprise, et même de son passé long… Combien de fois avons-nous vu les mêmes émetteurs décevoir encore et encore, chaque fois un peu plus tandis qu’à l’autre bout du spectre, des émetteurs fiables ou peu endettés conservaient, à force de rigueur à long terme, une fiabilité irréprochable.
- De la même manière, plutôt que les perspectives et les éléments intangibles comme une présentation stratégique, des marques ou des sommes de goodwill et autres actifs intangibles qui ont régulièrement fait péricliter les investisseurs obligataires, l’analyse crédit se révèle généralement beaucoup plus fiable si elle se concentre exclusivement sur les éléments les plus concrets du bilan et du compte de résultat…
Plus me plaît la « tréso » qu’ont bâti mes cash-flows,
Que des slides brillants les graphes audacieux ;
Plus que l’EBITDA me plaît le vrai résultat,
Plus l’émetteur constant que les ajustements,
Plus un bilan lisible qu’un plan stratégique,
Et plus que l’espérance, l’analyse historique.
aurait peut-être écrit un certain Joachim !
- Nous remercierons alors nos traditionnels chevaux de bataille, les pires émetteurs obligataires, dont les poèmes ne nous ont pas séduit mais qui nous ont permis de réaliser des hebdos différenciants, caustiques parfois mais toujours de bonne foi et parfois avec une certaine « vista » puisque nous avons, de temps en temps, permis à nos lecteurs d’éviter quelques chausse-trappes… Alors, parce que peu d’investisseurs obligataires l’ont fait, et pour cause (!!) merci Wirecard, merci Abengoa, merci IKKS, merci Topsoho, merci Thomas Cooke, merci Selecta, mais aussi à Crédit Suisse et merci à nos deux favoris Atos et Rallye… Nous en oublions sans doute mais ils ne nous en voudront probablement pas !
- « Et quand on échoue, on apprend ! » disent les coachs de vie … Alors on a appris de temps en temps aussi… Avec Steinhoff, qu’il vaut mieux vendre systématiquement, immédiatement et presque à tout prix toute obligation sur lesquels un soupçon de fraude émerge… Avec la Grèce, qu’un Etat ne fait jamais faillite même si vous perdez tout… Avec Hertz, que le même émetteur ne veut pas du tout dire le même contrat de prêt… avec CGG que le traitement équitable de tous les porteurs est souvent factice quand la situation devient critique pour un émetteur… Et surtout, surtout, surtout, au grand dam de nos fonds d’obligations corporates que nous construisions avec une logique la plus terre à terre possible, nous avons appris, avec la BCE, que le niveau zéro n’est pas le prix minimum de l’argent et qu’acheter du Bund à 0% de rendement à horizon 10 ans pouvait rapporter plus l’année d’après qu’acheter une obligation High Yield à 4 ou 5% de rendement !
- Mais, grâce à la réalité, nous avons été rassuré de constater tout de même que les phases d’excentricité financières ne durent toujours qu’un temps, aussi long soit-il et, qu’il s’agisse des taux négatifs de la fin de la décennie 2010, de la courbe inversée post-covid ou des entreprises en cash flows structurellement négatifs qui parvenaient à placer des obligations à 4% de rendement pour un rating CCC, les débouclements furent extrêmement soudains et violents et que des pertes massives ont corrigé ces quelques années de gains somme toute modérés… Rappelons-nous ainsi, parce que l’anecdote est cocasse, les heureux investisseurs qui, en 2020, alors que la BCE venait d’assommer les taux du « quoi qu’il en coûte », se félicitèrent de prêter pour 5.8 milliards d’euros à l’Etat autrichien à 100 ans à un rendement de 0.85% !! oui cela fait sourire aujourd’hui que le rendement de l’OAT française est à plus de 2% à douze mois… Pendant quelques mois, ces investisseurs ont vu leurs obligations grimper à 120 puis à 140% du nominal portant le rendement à 0.35% !! Et il y eu probablement des acheteurs sur ces niveaux en décembre 2020, il y a tout juste cinq ans… Aujourd’hui, alors que les taux ont bondi et semblent bel et bien s’installer dans la zone des 2 à 4% tant par les équilibres macro que par le crédit des souverains qui se dégrade, ces obligations valent 29% du nominal… soit même pas la valeur de recouvrement d’une obligation corporate en cas de défaut … Pour quelques années d’exagération des marchés et d’une politique monétaire contrainte à combattre une crise systémique par des outils non conventionnels, des investisseurs ont donc toutes les chances de devoir attendre, non pas 100 ans bien sûr, mais 90 ans probablement, pour retrouver leur capital… Mais parce que je quitte ce rendez-vous hebdomadaire, je me garderai bien de citer ce qui pourrait me sembler être les excentricités du moment et en laisserai le soin à mes très chers collègues Joelle Harb, Jean-Denis, Mathieu et Thibaut avec qui j’ai eu le bonheur de travailler pendant toutes ces années et qui pourront vous faire part de leurs convictions lors de la traditionnelle présentation crédit de début d’année, le mardi 13 janvier 2026.
Et parce que les adieux ni les au revoir ne doivent être trop longs, je clôturerai cet hebdo, ces douze ans d’hebdo crédit, ces quinze ans d’Octo AM, ces vingt ans d’Octo et ces vingt-trois ans de marchés obligataires, d’abord comme broker puis comme gérant de fonds, en vous disant MERCI à tous pour votre fidélité et votre confiance durant toutes ces années.
Matthieu Bailly