13 juin 2025
Ciao Francia : l'Italie devient meilleure élève que la France...
Les semaines se suivent et se ressemblent, relativement monotones, sur le front obligataire : les primes de crédit stagnent sur leurs plus bas, les courbes tendent à se repentifier, les taux souverains cristallisent les incertitudes mais ne s’écartent pas encore vraiment et les investisseurs campent sur leurs positions accumulées au cours des mois passés, les arbitrages entre catégories obligataires pour quelques points de base ne valant pas vraiment la peine…
Difficile donc de vous proposer chaque semaine de nouvelles opportunités obligataires mais ce sont plutôt toujours les mêmes petits signaux qui, s’ils ne provoquent ni remous ni émotion particulière des investisseurs, s’accumulent progressivement et auront à long terme un impact significatif : sur les primes relatives entre émetteurs dans un premier temps, sur le risque systémique dans un second temps, car le sujet des taux et du risque souverain prendra de l’ampleur, et in fine, sur un possible nouveau Quantitative Easing de la BCE et/ou de la FED.
Cette semaine nous noterons quatre actualités parallèles récentes, signaux d’une une tendance qui nous semble majeure sur la dette souveraine européenne : La qualité de crédit de l’Italie sera bientôt meilleure que celle de la France, faisant de cette dernière le pays le plus risqué de l’Eurozone.
- La note de crédit de l'Italie relevée à BBB + par S&P (Les Echos)
- L’agence de notation Moody’s s’abstient de noter la France (BFMTV)
- Alors que la France est empêtrée dans ses déficits le FMI félicite l’Italie pour son excédent budgétaire (BFMTV)
- Le PIB par habitant des Italiens rejoint celui des Français (Les Echos)
Depuis une quinzaine d’années, les chantres de la « qualité de crédit française » avaient toujours trouvé des exemples d’autres pays européens, soit plus endettés, soit aux budgets plus déficitaires, soit aux économies plus dépendantes à ceci ou cela, soit aux systèmes politiques plus instables, soit à la corruption plus importante, soit, soit, soit… Tantôt c’était la Grèce, tantôt c’était l’ensemble des périphériques, tantôt le Portugal, et très souvent c’était l’Italie, qui, il y a encore quelques années restait le mauvais élève de la Zone Euro, celui qui assurait à la France de rester dans le peloton… Peloton de cancres, certes, mais peloton peu différencié, que la BCE tenait à bout de bras grâce à ses liquidités.
Depuis quelques mois et les efforts importants de l’Italie en termes budgétaires et économiques, le mauvais élève semble avoir lui aussi, comme le Portugal, l’Irlande et l’Espagne en leur temps, retrouvé une trajectoire budgétaire plus saine et pourrait, comme ses pairs, entamer une amélioration de ses finances publiques, tandis que la France, elle, semble avoir perdu tout contrôle.
Pour se désendetter, un pays ayant connu une passade difficile connaît généralement deux étapes préliminaires, l’Italie vient de franchir la première : le solde budgétaire primaire positif.
Un budget d’Etat se compose de deux parties : les dépenses pour les services publics et les intérêts d’emprunts ou « charges de la dette ».
Le solde primaire exclut les charges de la dette et permet de déterminer si la partie « opérationnelle » d’un Etat est à l’équilibre ou non, c’est-à-dire si, en dehors des intérêts d’une dette contractée dans le passé pour résoudre des problèmes passés, un Etat est à l’équilibre dans sa gestion du présent. Ce solde primaire positif est capital dans l’analyse crédit fondamentale d’un pays car il offre deux outils possibles de désendettement :
- Le premier est progressif et classique : la banque centrale en baissant ses taux pour accompagner la tendance, peut permettre aux intérêts de chuter progressivement, créant une spirale vertueuse d’amélioration du crédit et donc de réduction des spreads et du taux d’emprunt, et rendant in fine assez simplement le solde budgétaire positif, ce qui aboutit au désendettement. A l’inverse, une baisse des taux dans un pays qui a, de toutes façons, besoin d’emprunter pour son train de vie, ne servira au mieux à rien et pourra même être un pousse-au-crime pour certains gouvernements y voyant de l’argent gratuit…
- Le second n’est pas utilisé car il est violent mais il est un atout considérable dans la main d’un Etat au solde primaire positif dans son rapport avec les créanciers : l’effacement de la dette ! Mais pourquoi un Etat serait assez fou pour effrayer à ce point les marchés ? Me direz-vous… Tout simplement parce qu’il n’en a plus besoin. Pour simplifier cette notion prenons deux exemples :
- Un Etat A souffre d’un solde budgétaire primaire négatif et d’un stock de dette insurmontable. Il peut certes trouver tentant d’effacer unilatéralement sa dette pour se remettre à flot mais ceci aura deux conséquences : 1/ sa crédibilité sur les marchés deviendra nulle, 2/ son taux d’emprunt en cas de besoin sera extrêmement élevé. Or par définition, un Etat au solde primaire négatif aura immédiatement besoin de réemprunter pour payer ses services publics. Cet effacement de la dette, menace ultime pour les investisseurs obligataires, sera totalement inutile et contre-productif.
- Un Etat B bénéficie d’un solde budgétaire primaire positif et d’un stock de dette insurmontable. Il peut trouver tentant d’effacer unilatéralement sa dette pour se remettre à flot et ceci aura les mêmes conséquences : 1/ sa crédibilité sur les marchés deviendra nulle, 2/ son taux d’emprunt en cas de besoin sera extrêmement élevé. Mais, puisque l’Etat B n’aura plus d’intérêts à payer et passera en solde budgétaire positif, il n’aura pas besoin d’emprunter et pourra donc se couper des marchés financiers sans conséquence particulière dans son fonctionnement. Si cette arme n’est jamais utilisée, elle fut néanmoins souvent avancée, au cours de la décennie 2010, comme une tentation potentielle pour des pays comme le Portugal, qui avait opéré des coupes budgétaires extrêmement lourdes et aurait pu trouver politiquement et socialement légitime d’alléger sa dette pour préserver sa population, devenue exsangue.
Le solde primaire positif, parce qu’il ouvre la porte à l’allègement des intérêts, à un regain de dynamisme économique et à un rééquilibrage des termes de l’échange avec les créanciers est donc, généralement, le prélude au désendettement d’un Etat et à l’amélioration de sa qualité de crédit. Ce fut le cas du Portugal, de l’Irlande, de l’Espagne et aujourd’hui de l’Italie (cf. Graphiques 1, 2 et 3) tandis que la France, elle, reste engluée dans un solde primaire largement déficitaire. Si le stock de dette de l’Italie est donc actuellement plus important que celui de la France et son taux d’emprunt encore plus élevé, on peut imaginer que la hiérarchie s’inverse dans les années à venir, comme on l’a déjà observé pour les autres ex-périphériques. (cf. Tableau 1)
Sources : Amplegest, Bloomberg, Eurostat
Sources : Amplegest, Bloomberg, Eurostat
Sources : Amplegest, Bloomberg, Eurostat
Sources : Amplegest, Bloomberg
La France est donc sur une pente assez directe, absolue et relative, de chute de sa qualité et de hausse de sa prime de crédit et nous continuons d’éviter soigneusement l’Etat Français tout comme les obligations d’entreprises au lien trop important avec l’Etat ou la situation économique de la France : banques, assureurs, utilities, énergie, entreprises publiques ou semi-publiques, collectivités locales, entreprises trop peu diversifiées à l’international, notamment une grande partie des PME françaises au marché local, catégorie quasi absente du marché obligataire classique mais qu’on pourra trouver dans les fonds d’ « actifs privés ».
N’oublions pas non plus que la France est la seconde puissance économique de la Zone Euro et que ce déclassement aura probablement aussi un impact sur la crédibilité générale de la Zone, de nombreux investisseurs internationaux, pays émergents en tête, qui y investissaient traditionnellement pour sécuriser leurs capitaux, pouvant s’en détourner progressivement, considérant que la force motrice et l’amélioration des ex-périphériques ne sera pas suffisante pour compenser :
- Soit au profit d’autres zones, dont leur propre pays ; la qualité de crédit des émergents et les devises émergentes devraient se renforcer significativement face à l’Eurozone et à l’Euro dans les années à venir
Soit d’autres actifs, notamment l’or, comme en témoigne cet article de l’Agefi du 12 juin 2025 qui constate que celui-ci a dépassé l’Euro dans les réserves de banques centrales
Matthieu Bailly